Pyrénées-Orientales : ces communes qui voient leurs contrats d’assurance résiliés face à la hausse du risque

Publié le 06/11/2023 à 20:38, Sophie Babey

Après la gestion des inondations, éboulements, incendies… le cauchemar a pris ces derniers mois une autre tournure pour certains maires, nombreux dans les Pyrénées-Orientales, qui voient leur assureur se désengager brutalement de leurs contrats. Face à des hausses insupportables ou carrément des résiliations du jour au lendemain, un véritable marathon s’amorce pour les élus des petites communes qui transpirent pour dénicher une nouvelle compagnie d’assurance.

Voilà deux ans environ que le mal a commencé à s’insinuer dans les conseils municipaux du département, comme un peu partout en France. Certains élus ne cachent plus leur peur à l’idée d’ouvrir un courrier de leur compagnie d’assurance. Fin de contrat ou pas, c’est à tout moment que la mauvaise nouvelle peut tomber. “Il y a deux phénomènes, annonce Edmond Jorda, le président de l’antenne catalane de l’Association des Maires de France. Soit la hausse vertigineuse des cotisations. Soit le désengagement pur et simple de la compagnie d’assurance.” Ce lundi 6 novembre au matin, l’élu rencontrait à ce sujet le président de l’AMF Occitanie. "Le 22 novembre prochain, ce sera le thème d’un atelier du Congrès des maires à Paris, informe-t-il, dont l’intitulé sera ‘Ma commune a-t-elle un assureur?’ "

De fait, l’ampleur du problème est telle que le gouvernement vient de lancer, le 25 octobre dernier, une mission sur “l’assurabilité des collectivités territoriales”. Elle aura la difficile tâche de déterminer comment sortir de l’ornière les communes déjà submergées par les aléas climatiques.

Appel d’offres infructueux

Plusieurs communes des Pyrénées-Orientales, notamment sur le littoral ou dans les vallées de l’Agly ou de la Têt, ont ainsi reçu dernièrement des avis d’échéance revus à la hausse, ou pire donc. “Certains ont vu leur assurance se retirer en cours de contrat”, s’émeut Edmond Jorda, soulignant néanmoins que c’est légal. C’est ainsi que le maire, sur sa commune de Sainte-Marie, se retrouve actuellement sans assurance “sur la maladie ordinaire” pour ses agents communaux. “On est nombreux à être dans cette situation, nos salariés ne sont plus couverts par notre assurance que pour les congés maladie longue durée, la longue maladie ou la maternité.” Obligeant les communes à compenser sur leurs fonds propres.

Non loin de là, à Torreilles, la municipalité est sous une double épée de Damoclès. “Concernant les risques et dommages aux biens, notre assureur a résilié le contrat avant l’été, déplore le maire Marc Médina, au motif qu’on est en zone inondable.” Le hic, c’est que la procédure d’appel d’offres aussitôt lancée par la commune est restée infructueuse. “Il n’est pas rare que les compagnies ne répondent même pas à nos courriers”, se désole pour sa part Edmond Jorda. “Dès qu’on est sur un plan de prévention des risques ou inscrit sur un arrêté de catastrophe naturelle, soit les assureurs nous infligent des tarifs prohibitifs, soit ils ne répondent pas à nos sollicitations.”

À Torreilles, “on n’aura plus d’assurance au premier janvier prochain”, s’alarme Marc Médina. Mais ce n’est pas tout, à la même date, la seconde compagnie d’assurance qui couvrait la commune et ses quelque 70 agents pour la complémentaire santé, sera également caduque. “Nous avions un cabinet qui nous assurait. Hors en juillet 2022, il nous a annoncé la résiliation pour le 31 janvier suivant. Nous avons renégocié une petite augmentation de la franchise et le contrat avait été maintenu. Mais on a reçu il y a quelques semaines une remise en cause de notre contrat avec une nouvelle résiliation au 31 décembre 2023.”

200% d’augmentation de la cotisation municipale

Le maire ne comprend pas cette décision. Pour lui, ce sont les arrêts maladie, trop nombreux au goût de l’assureur, qui avaient justifié ce “réajustement”. Mais depuis, assure-t-il, la barre avait été largement redressée. Il se croyait à l’abri d’une nouvelle surprise. La seule issue pour lui est fixée à 200% d’augmentation du tarif de la cotisation municipale. Soit un contrat qui passerait de 47000€ à 147000€ pour la commune de 3800 habitants.

“On ne peut pas se permettre de ne pas avoir d’assurance”, insiste Marc Médina, qui a fait appel à un consultant spécialisé pour dénicher l’assureur qui voudra bien de sa commune. Car “il sera impossible pour la commune, en cas de pépin, de prendre en charge le risque financier.” “Si un homme par exemple se blesse en faisant son jogging sur une route et que ça nécessite des soins pendant des années, les contribuables devraient payer ad vitam aeternam”, renchérit son voisin de Sainte-Marie. “Or, c’est quand même le job de l’assureur de prendre des risques!”, pointe le maire de Torreilles.

Et les deux édiles de se tourner de concert vers l’Etat : “Il faudrait créer une caisse de sauvegarde des collectivités territoriales”, suggère Marc Médina. C’est en substance ce que compte revendiquer Edmond Jorda qui avance : “Il faut que l’Etat assure au minimum une offre.”

“Les réassureurs voient les risques se multiplier et les répercutent sur les compagnies d’assurance”

La SMACL, compagnie d’assurance spécialisée dans les collectivités territoriales, évoque un effet domino quasi “indépendant de sa volonté”. Son service presse contacté ce lundi confirme que les communes, partout en France, reçoivent de plus en plus “des avis d’échéance en cours d’année”. L’explication à ce phénomène ? “Nous prenons en compte la sinistrabilité au niveau national. Et il se trouve que là où, il y a 5 ou 10 ans, les risques de survenance de phénomènes naturels étaient ponctuels ou rarissimes, ils deviennent aujourd’hui ‘systémiques’. La récurrence de ces événements coûte de plus en plus cher à indemniser et les montants en cause très importants obligent les assureurs à se réassurer auprès de très grosses multinationales souvent à l’étranger.” Dans la facture, le climat certes, mais aussi les émeutes “en recrudescence” et leurs lots de dégâts matériels.

Tout cela est mutualisé et répercuté. Au final, explique la SMACL, “les assureurs n’ont pas d’autre choix que de durcir leurs conditions, soit en revoyant les plafonds, soit en augmentant les franchises.”

Là aussi, la compagnie a entamé des discussions avec le gouvernement. L’objectif : “faire évoluer la réglementation.” En clair : “Peut-être que l’Etat pourrait prendre davantage sa part dans ce type de situation pour que les élus ne soient pas laissés sans solution. Parce que, souligne avec lucidité la compagnie SMACL, les sinistres ne vont pas s’arrêter demain.”

“Les assureurs deviennent de plus en plus frileux, il faut négocier de gré à gré”

Ancien agent d’assurances à Perpignan, Dominique Boisserie est consultant en marchés publics et assurances auprès des collectivités territoriales. Une quarantaine de communes des Pyrénées-Orientales auraient fait appel à ses services ces deux dernières années, à l’instar de Torreilles, pour qui il recherche actuellement une nouvelle assurance. Son atout, présente le professionnel, le Groupement d’Intérêt Economique auquel il appartient, qui lui confère une certaine crédibilité dans ses démarches. “Depuis quelques années, beaucoup de catastrophes naturelles ont impacté fortement certaines communes du littoral catalan ou proches de l’Agly ou de la Têt. Mais elles payent aussi les émeutes que d’autres villes de France ont connues. Tous les clients en subissent le contrecoup. Or, les assureurs deviennent de plus en plus frileux.”

Il explique ainsi que la SMACL a eu des difficultés financières et a fusionné récemment avec la MAIF, qui du coup s’est retirée de ce marché, faisant baisser l’offre. Un autre groupe d’assurance très présent dans les collectivités, selon le spécialiste, serait devenu “extrêmement sélectif sur ses risques à souscrire, et notamment en décidant de prendre beaucoup moins de collectivités.” Sa solution aujourd’hui, c’est la négociation de gré à gré. Les discussions sont âpres, mais au prix de hausses des franchises notamment, elles ont une chance d’aboutir.

  • TheFrirish@jlai.lu
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    7 months ago

    Comme d’hab quoi. Une assurance ne devrait pas être une entreprise à but lucratif.

  • Camus [il/lui]@lemmy.ca
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    7 months ago

    Assez fou, j’avais l’impression que les assurances qui se retiraient des zones inondables c’était surtout aux US (Floride)

    • FLeX@lemmy.world
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      7 months ago

      Ah non pas du tout, c’est comme ça depuis longtemps pour les zones d’habitations passées en inondable.

      Les maires ont autorisé des permis dans des endroits qui se font ravager chaque année, au bout d’un moment plus aucun assureur décroche son tel.

        • FLeX@lemmy.world
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          7 months ago

          Après pour les cas auxquels je pense les acheteurs peuvent s’en prendre qu’a eux même.

          C’est pas un secret et il aurait suffit de se renseigner un minimum ou demander à n’importe quel voisin pour savoir que ça finit souvent sous l’eau… ils ont joué, ils ont perdu

  • FLeX@lemmy.world
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    7 months ago

    Les assurances c’est du racket et une escroquerie légale.

    Ils sont bien contents de se faire payer pour rien ces crevards, mais des qu’il se passe un truc ils deviennent “frileux”.

    Il n’y a pas grand chose de moins respectable que vendre des assurances.

  • Jakylla@jlai.lu
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    7 months ago

    Tout ça est maleureux, mais malheureusement logique et prévisible… Je souhaite de tout coeur bon courage à toutes les personnes impactées (et celles qui le seront certainement aussi dans les prochaines années, genre en Picardie pour les innondations, ou en Bretagne pour le vent…)

    Ces maisons vont devoir petit à petit être abandonnées, et seront même très difficile à revendre, une vraie galère… La même chose qu’avec les habitations en haut des falaises qui s’effondrent

    Le temps vient où l’humanité doit commencer à suivre la Nature, plutôt que le contraire