• le_pouffre_bleu
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    5 months ago

    Cette perspective permettrait, selon lui, de diminuer le recours à la chimie de synthèse, mais il n’est pas question de se passer complètement des produits phytosanitaires ni d’engager une transition agroécologique à grande échelle : lors de la manifestation organisée le 8 février à Paris par la FNSEA et le lobby betteravier en défense des néonicotinoïdes, Arnaud Rousseau s’était affiché clairement en faveur de ces insecticides retirés par l’exécutif sous l’effet de la justice européenne. « Nous ne pouvons pas comprendre une interdiction sans solution, et une traduction par une décision de justice, avait-il dit à la tribune, aux côtés de Christiane Lambert et d’autres représentants. La primauté du politique doit prévaloir. »

    Pour Arnaud Rousseau, justice et autorités sanitaires doivent passer au second plan : une semaine après la manifestation parisienne, la fédération qu’il préside, la FOP, remontait au créneau pour répondre à l’interdiction, par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), de l’herbicide métachlore. Dans un communiqué cosigné avec les représentants des betteraviers et des céréaliers (la CGB et l’AGPB), la Fédération des oléagineux et protéagineux dénonçait « un coup de semonce pour le secteur agricole ». Dans un tweet qui laisse planer peu de doute sur la sincérité de ses préoccupations en matière de biodiversité, le syndicaliste s’interrogeait : « Comment répondre aux enjeux de souveraineté alimentaire si on dépossède l’agriculture française de ses capacités à produire ? »## 5,6 fois le montant moyen des subventions de la PAC

    Le futur numéro 1 de la FNSEA, cependant, n’a pas trop d’inquiétude à avoir sur ses capacités de production. En Seine-et-Marne, il règne sur plusieurs centaines d’hectares. Sur le papier, il est à la tête de trois exploitations agricoles : la SCEA du Haut Pays, la SCEA Ferme Saint Laurent, la SCEA du Moulin à vent. Selon nos informations, les trois sont bénéficiaires des aides publiques de la PAC (politique agricole commune), à hauteur d’environ 170 000 euros chaque année. En 2021, le total de cette manne européenne s’est élevé précisément à 173 441 euros. C’est 5,6 fois le montant moyen que touche une exploitation agricole en France.

    Particularité : les trois exploitations contrôlées par Arnaud Rousseau sont enregistrées comme « sociétés civiles d’exploitations agricoles » (SCEA), une forme juridique qui a tendance à se développer en agriculture, au détriment des traditionnels Gaec (groupements agricoles d’exploitation en commun). La raison ? Les SCEA permettent de multiplier les sociétaires, sans que ceux-ci soient nécessairement reliés à une activité agricole, tandis que les Gaec ont pour objet de mettre en commun le travail de plusieurs personnes, dans des conditions proches de celles d’une ferme familiale.

    L’expansion de ces formes sociétaires est précisément ce qui permet l’accaparement des terres, ont dénoncé Les Amis de la Terre dans un récent rapport. « Les accapareurs de terres optent le plus souvent pour des sociétés à capital ouvert, écrit l’ONG. Des SCEA, qui ont beaucoup de latitude concernant la nature des associé·es : pas de nombre maximum, pas d’obligation d’exploiter la terre, les personnes morales peuvent être associées ; des GFA, qui regroupent des personnes physiques pour acheter des terres. »

    Avoir plusieurs sièges d’exploitation est aussi un moyen de contourner les seuils limitant la taille des fermes. C’est ainsi que, prises séparément, les trois SCEA d’Arnaud Rousseau – l’une correspondant à la ferme familiale d’origine, les deux autres à des acquisitions réalisées dans les environs - n’excèdent pas la superficie maximale autorisée en Île-de-France (137 hectares, multipliés par un coefficient en fonction du type de culture et du nombre d’emplois sur la ferme). Pourtant, au total, selon nos calculs, l’ensemble des terres exploitées par les sociétés d’Arnaud Rousseau atteint environ 700 hectares – ce que confirme l’intéressé à Mediapart. La composition en plusieurs structures est liée au fait que son épouse, Perrine Benoist-Rousseau, est également agricultrice, nous indique-t-il.

    Le futur homme fort de l’agriculture française se trouve enfin à la tête de cinq sociétés para-agricoles : une gestionnaire de terres, une fournisseuse de services, deux productrices d’énergie et une holding. On relève ainsi sous sa tutelle le groupement foncier agricole (GFA) de la Tour, l’entreprise de travaux agricoles (ETA) Rousseau, l’entreprise de méthanisation Biogaz du Multien, la société de production d’énergie photovoltaïque SCEA de la Ferme du Ru, et la société Spondeo – une holding qui apparaît comme gestionnaire ou associée des quatre SCEA de l’agriculteur.

    Cette holding est détenue par Arnaud Rousseau et son épouse. On retrouve là une caractéristique pointée dans le rapport des Amis de la Terre : « Souvent, une firme ou un agri-manager détient plusieurs sociétés et crée alors une holding, structure tentaculaire qui permet de gérer l’ensemble de ces sociétés. » L’entrée d’une holding dans le capital des sociétés agricoles relève d’une stratégie d’optimisation fiscale : elle fait progresser la rémunération du capital, plutôt que celle du travail, et ce sont autant de cotisations sociales qui disparaissent des comptes de l’entreprise.

    Rien d’illégal dans tout cela, précise Arnaud Rousseau à Mediapart. Reste que les exploitations du candidat à la présidence du syndicat patronal agricole s’inscrivent dans la tendance à l’agrandissement qui touche aujourd’hui de plein fouet l’agriculture française et rend l’accès au foncier de plus en plus difficile. Il y a là comme une incongruité. Le mandat d’Arnaud Rousseau se place sous le signe de trois priorités, parmi lesquelles on note… le renouvellement des générations en agriculture.

    Amélie Poinssot, 27 mars 2023 à 11h54